Alors qu’ils devraient constituer le socle de la formation scientifique et de l’innovation académique, les mémoires et thèses universitaires au Bénin peinent à jouer pleinement leur rôle. En cause, un système miné par l’incompétence à tous les niveaux, dénonce le professeur Thiery Alavo. Dans un entretien accordé à nos confrères du quotidien Fraternité, cet enseignant-chercheur et fondateur du Laboratoire d’Entomologie Appliquée/Centre Edward Platzer de l’université d’Abomey-Calavi (UAC), fustige la « kakistocratie » qui gangrène l’enseignement supérieur et étouffe la valeur réelle de ces travaux académiques.
Pour le Pr Alavo, les mémoires et les thèses ne sont pas de simples formalités. « Un mémoire ou une thèse est un compte rendu d’activités scientifiques essentiel dans le parcours universitaire d’un étudiant. Il est rédigé à la suite d’un stage d’au moins six mois pour l’obtention d’un diplôme de Master », explique-t-il. Ces travaux permettent, selon lui, de s’initier à la recherche scientifique, de développer un esprit critique et, pour les doctorants, de contribuer à l’avancement des connaissances. « Le doctorant devient normalement un expert dans son champ », précise-t-il. Malheureusement, cette vision scientifique se heurte à une réalité déconcertante. « Très peu de mémoires et de thèses produits au Bénin sont réellement utiles », affirme-t-il. Selon le professeur en Entomologie, bon nombre d’étudiants préfèrent la facilité et s’orientent vers des encadreurs peu exigeants, dans l’unique but d’obtenir un diplôme rapidement.
Le phénomène est si répandu que même les autorités s’en sont inquiétées. En effet, Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (MESRS) dans une note adressée aux recteurs des universités publiques (Cf. courrier N°1638/MESRS/DC/SGM/DGES/SA du 8 octobre 2024) a dénoncé la prolifération de travaux frauduleux. À la racine du problème, le Pr Alavo pointe un mal profond. « C’est le manque de culture scientifique des Béninois et la kakistocratie qui empêchent l’exploitation des résultats scientifiques dans les prises de décisions stratégiques du pays », martèle-t-il. Ce terme, peu courant dans le langage courant, désigne un système où les moins compétents occupent les postes de décision. Pour l’enseignant chercheur, tant que ce mode de gestion prévaudra, les résultats de la recherche resteront sous-exploités, voire ignorés.
Certes, quelques enseignants-chercheurs s’efforcent de publier leurs résultats dans des revues scientifiques internationales. Mais là encore, la vigilance est de mise. « Tout ce qui est publié sur Internet n’est pas forcément de qualité : il existe des revues prédatrices qui acceptent de faux résultats en échange d’argent », avertit le professeur. Face à cette situation, Thiery Alavo se montre lucide, mais sans illusion. Il plaide pour une refonte profonde des mentalités et des institutions. « Il faudrait commencer par éliminer la kakistocratie comme mode de gestion. Et cultiver l’amour de la patrie, car l’intérêt général est totalement absent dans les calculs des Béninois. » Il estime que seule une gouvernance fondée sur la compétence, la rigueur et le patriotisme pourra restaurer la crédibilité de la recherche universitaire béninoise. À la question de savoir quelles recommandations il pourrait faire aux autorités et aux encadreurs, le professeur répond avec prudence : « En vérité, je préfère ne pas faire d’autres recommandations, car je ne suis pas certain qu’il soit sécuritaire de dire la vérité au Bénin à l’heure actuelle. »
Diane ATEKPO